After the Rain et Four Journeys : le cinéma-témoin d’une génération – par Maxime Bauer

After the Rain de FAN Jian

Les documentaires After the Rain de FAN Jian et Four Journeys de Louis Hothothot, tous deux sélectionnés à la cinquième édition du Festival Allers-Retours, sont des travaux cousins. Ils invoquent la politique de contrôle des naissances et le poids que cette mesure fait porter aux familles chinoises. Loin d’être des cas isolés, les familles d’After the Rain et Four Journeys peuvent être perçues comme des étendards d’une génération de chinois épuisés par un contrôle strict de leur vie, que ce soit par la politique ou la pression que leurs parents exercent sur eux.

Dans After the Rain, FAN Jian part à la rencontre de plusieurs familles ayant perdu leur enfant dans le tremblement de terre de 2008 et essayant de donner à nouveau naissance avec le concours financier du gouvernement. La fécondation in vitro, le sexe de l’enfant qui n’est pas le même, le handicap, sont autant de tourments et de difficultés qui traversent le quotidien chamboulé de ces parents qui avaient projeté tout leur amour et leurs projets sur leur premier enfant, maintenant disparu.

Four Journeys de Louis Hothothot

Dans Four Journeys, Louis Hothothot témoigne de sa condition d'”enfant noir”, c’est-à-dire d’enfant né dans une famille en dehors de la limite fixée par la loi chinoise (souvent un seul, mais pas toujours, rendant l’appellation française de « politique de l’enfant unique » inapropriée). Divers drames se sont mis sur le chemin de la vie de Louis Hothothot, à savoir cette sensation de devoir vivre caché dans la société, et surtout la relation d’amour-haine avec ses parents et sa sœur ainée. Aussi, Louis Hothothot essaie de retrouver la tombe perdue de son premier frère, mort à moins de deux ans ; un souvenir si douloureux que sa famille veut oublier. Avant que Louis Hothothot ne tente de guérir sa famille des maux qui l’habitent par le cinéma, il s’est littéralement enfui de son environnement pour vivre aux Pays-Bas avec sa compagne Artémise, qui ne désire pas d’enfants.

Four Journeys de Louis Hothothot

Alors que de nombreux films chinois des années 1980, 1990 et 2000 montraient la Chine sous un jour particulièrement sombre de manière macro, à la ville ou à la campagne, où l’administration est décrite comme un mur infranchissable et où la pauvreté gangrène les classes modestes, les années 2010 et 2020 voient des cinéastes chinois d’une nouvelle génération apparaître, avec un vécu et des sujets bien différents, et fait notable, ayant souvent séjourné à l’étranger. After the Rain et Four Journeys ne sont pas les premières occurrences de ces documentaires-témoignages au sein de la cellule familiale. En 2016, Small Talk de Huang Hui-chen montre à Taïwan l’incommunicabilité entre la réalisatrice et sa mère, homosexuelle et qui n’a jamais vécu la vie qu’elle voulait en devant élever ses enfants. De nombreux courts-métrages de jeunes réalisateurs, à l’image de Will you look at me de Huang Shuli ou Umbilical de Danski Tang, prennent également ce chemin. De manière plus légère, Silver Bird and Rainbow Fish de Lei Lei utilise l’animation en pâte-à-modeler et l’enregistrement vocal de ses parents pour évoquer une période de la Chine. Jet Lag, le second long-métrage de Zheng Lu Xiayuan, qui sort en février 2023 en France, brasse de nombreux sujets, mais se clôt sur l’incommunicabilité entre la réalisatrice et son père, qu’elle tente de filmer en face-à-face à la manière de Huang Hui-chen dans Small Talk, sans y parvenir.

After the Rain de FAN Jian

After the Rain et Four Journeys arrivent après le début de la vague, mais se révèlent être des œuvres passionnantes et déchirantes. FAN Jian est un réalisateur d’expérience. After the Rain a été tourné sur une dizaine d’année ; sa photographie est si nette et fixe et sa narration est tellement limpide que ces éléments pourraient faire penser aux spectateurs qu’ils sont en face d’une fiction. Il n’en est bien évidemment rien. FAN Jian a tissé de nombreux liens d’amitié avec les familles qu’il filme, il les a vu évoluer et à travers son travail cinématographique, il documente en creux les manquements de la politique chinoise, notamment d’un point de vue psychologique. En ce sens, il se rapproche plus des anciens films chinois que nous évoquions, mais son sujet de la politique de contrôle des naissance est en revanche tout-à-fait actuel, car les dégâts psychologiques qu’elle a causées ne sont jamais aussi vifs et visibles qu’à présent. FAN Jian transmet parfaitement, avec justesse et pudeur, le désarroi de ces familles qui ont perdu ce qui comptait le plus pour elles et qui doivent tout recommencer, avec des souvenirs douloureux et un présent en décalage. À la clé, ce père, qui regrettait tellement sa fille qu’il semblait bien trop dur avec son nouveau fils, change en temps réel devant nos yeux et construit une relation plus saine avec son jeune enfant. Cette dose d’humanité est porteuse d’espoir.

After the Rain de FAN Jian

Bien que Four Journeys déploie de même ces questions autour du nombre d’enfants dans la cellule familiale aussi bien que les relations désastreuses entre parents et enfants, la visée du réalisateur est toute autre. Même si Louis Hothothot parvient in fine, à l’image de Huang Hui-chen et sa mère, à panser les blessures de sa famille par le cinéma, Four Journeys est d’abord un cri de rage et de désespoir. Fréquemment, les propos tenus à l’intérieur du film, parfois comiques, toujours d’une sévérité extrême, peuvent générer la gêne chez le spectateur d’assister à un déchirement familial pareil. Mais qu’importe, Louis Hothothot couche sur film toutes ses peines, car il en a besoin. Et alors, on ne pourra jamais dire que Four Journeys est un film plat et sans intérêt, il est au contraire d’une émotivité exceptionnelle et c’est ce qui le rend passionnant. Une fois encore, la réconciliation est en marche à la fin du métrage, laissant espérer que le cinéma est un remède.

Four Journeys de Louis Hothothot

Il y a fort à parier que d’autres documentaires (ou films de fiction, A dog barking at the moon disposait d’intentions similaires) voient le jour sur ces sujets de la pression familiale chinoise. La politique de contrôle des naissances a poussé les parents à projeter tous leurs projets prédéfinis sur leur progéniture. Lorsque l’individualité de l’enfant vient se placer contre cela – l’homosexualité ou seulement le besoin d’échapper stricto sensus au fondement d’une cellule familiale classique avec enfants – le choc est rude. Le besoin d’expiation se transforme alors en un geste de cinéma singulier et chargé en émotions.

Maxime Bauer, février 2023  

After the Rain de FAN Jian

Sélection 2023 : Reprise du voyage après une longue escale

La cinquième édition du Festival Allers-Retours du cinéma d’auteur chinois, qui s’ouvrira au musée Guimet le 3 février 2023, proposera au public parisien 9 longs et 6 courts-métrages. Pour cette nouvelle édition, le festival met à nouveau l’accent sur les auteurs eux-mêmes et leur individualité, et comment la notion même de « cinéma d’auteur » est constamment redéfinie par l’arrivée d’une nouvelle génération. 

Les trois années écoulées ont-elles influencé l’œuvre des jeunes créateurs qui grandissent dans cette crise ? Il est sans doute trop tôt pour répondre à cette question, mais nous espérons que la sélection de cette année apportera un éclaircissement – et un peu d’espoir.

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